Roche impose le prix d’un médicament: conséquences économiques et médicales

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Échec des négociations et retrait unilatéral du Perjeta par Roche

Les négociations qui se sont tenues en 2014 entre Roche et l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) ont abouti à un désaccord sur la diminution du prix du traitement anti-cancéreux Perjeta. Ce désaccord sur le prix du médicament en question a conduit Roche à le retirer unilatéralement de la liste des produits remboursés par l’assurance maladie de base (LAMal).

Dans le cadre de ces négociations sur le prix du Perjeta, l’OFSP a demandé à l’entreprise Roche de baisser le prix de son médicament pour qu’il puisse être plus économique et continuer à être remboursé par les caisses maladies, laquelle a refusé. Par conséquent, ce n’est pas l’Office fédéral mais bien Roche qui a décidé du retrait de cette solution de la “liste des spécialités“, c’est-à-dire la liste publiée par l’OFSP détaillant toutes les substances médicamenteuses remboursées par la LAMal avec indication de leur prix.

Quelle est cette substance et combien coûte-t-elle?

Perjeta est une solution médicamenteuse que l’on trouve sous forme liquide pour le traitement de certaines formes très virulentes de cancer du sein, notamment en cas d’apparition de métastases, et qui touche entre 15 et 20% des patients (voir les informations techniques compendium suisse des médicaments). Il s’agit en particulier de patients atteints du cancer du sein dit “HER2-positif métastatique” qui peut conduire au décès. Le Perjeta se présente sous la forme d’une solution de 14ml diluée qui est ensuite administrée par voie intraveineuse (goutte-à-goutte), pouvant être combinée avec une autre substance (Herceptin) et chimiothérapie, et coûte en Suisse CHF 3’782.- par dose, à prendre toutes les trois semaines pendant au moins une année, soit un peu moins de CHF 70’000.- par an.

Dans un communiqué de presse du 28 septembre 2014, les résultats finaux de l’étude clinique de phase III (essais sur un grand nombre de patients juste avant la mise sur le marché) “CLEOPATRA” (CLinical Evaluation Of Pertuzumab And TRAstuzumab) menée par Roche démontrent un prolongement sensible de la durée de vie des patients. En somme, ce médicament sauve des vies, ou a tout le moins prolonge la durée, respectivement diminue le risque de décès sur une certaine durée, et les effets secondaires semblent moindres face aux bénéfices retirés (Lire en page 3 du communiqué de presse les détails techniques liés à la maladie et au traitement).

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Retrait d’un médicament de la liste des substances remboursées par la LAMal

Un médicament doit être approuvé par Swissmédic avant d’être mis sur le marché en Suisse et doit répondre à diverses exigences pour bénéficier d’une telle autorisation. Pour qu’un médicament soit ensuite remboursé par l’assurance maladie de base, et intégré dans la liste des spécialités, il doit non seulement être autorisé à être mis sur le marché (AMM), ne doit pas faire l’objet de publicité et doit également satisfaire à trois conditions. Selon l’art. 65 al. 3 OAMal, les médicaments doivent être:

  • Efficaces
  • Appropriés
  • Economiques

S’agissant du caractère économique, un médicament ou un générique est considéré comme tel lorsqu’il produit l’effet thérapeutique désiré au coût le plus réduit possible. De plus, une comparaison est effectuée avec d’autres médicaments ainsi qu’avec les prix pratiqués à l’étranger. Un médicament qui ne répond plus à cette condition peut-être retiré de la liste publiée par l’OFSP, mais peut également l’être sur décision unilatérale de l’entreprise pharmaceutique. Les Directives de l’OFSP mentionnent que le prix maximal d’un médicament se compose du prix de fabrique, de la part relative à la distribution et de la TVA (Récapitulatif dans ce document).

En réalité, comme l’indique le reportage mené par la RTS, malgré la décision de retrait du médicament de la liste des spécialités, l’entreprise Roche ristourne CHF 1’600.- aux assureurs sur une facture de CHF 3’782.- pour les doses de Perjeta, soit un coût de traitement de CHF 2’182.- . Cet artifice curieux réduit le coût effectif du médicament pour les assureurs (face au prix de base), mais conserve un coût officiel (prix de vitrine) plus élevé vis-à-vis du public. Cette pratique a d’abord été approuvée par l’OFSP en mars 2013, puisqu’elle a été inscrite sur la liste des spécialités, puis retirée de cette liste en même temps que le médicament suite à l’échec des négociations en 2014. Aujourd’hui cette manière de faire n’a plus rien d’officiel étant donné son retrait. L’intérêt de maintenir un prix officiel élevé serait néanmoins de pouvoir garantir également un prix fort dans les autres pays.

Précisons que le Perjeta est également autorisé en Europe puisqu’il a été approuvé et validé par l’Agence européenne des médicaments (EMA).

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Point de vue juridique : droit aux soins

En Suisse, il n’existe pas un droit aux soins en tant que droit fondamental. Sans entrer dans les détails, la Constitution fédérale prévoit, dans certaines circonstances, l’obligation de l’Etat de garantir un standard de vie minimal et doit mettre en oeuvre une aide qui comprend de fournir les moyens minimaux de subsistance, notamment par le respect et la protection de la dignité humaine et l’obligation d’assistance dans des situations de détresse (art. 7 et 12 de la Constitution fédérale). Dans un but social, l’Etat doit promouvoir la santé et permettre l’accès égal a des soins de qualité (art. 41 Cst féd.). C’est le cas avec l’assurance maladie de base obligatoire qui vise à garantir un accès égal aux soins médicaux par le remboursement des mêmes médicaments pour l’ensemble des assurés.

D’un point de vue médical, assécurologique et économique, il n’est donc pas possible d’exiger de l’Etat, ni d’un assureur, encore moins d’une entreprise pharmaceutique d’être soigné de manière gratuite ou à faible coût et de manière égale pour tous les citoyens face à toutes les maladies. Il n’existe qu’un droit à être remboursé par l’assurance maladie de base, pour les médicaments présents sur la liste des spécialités.

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Conclusion

Selon la presse, les principaux assureurs suisses garantissent toujours le remboursement du Perjeta, tant pour les nouveaux cas que pour les patients en cours de traitement. Les conséquences du retrait d’un médicament de la liste des spécialités sont néanmoins les suivantes:

  • les assureurs ne sont plus tenus légalement de rembourser ce médicament. Ils sont par contre libre de le faire d’un point de vue éthique et moral vis-à-vis de patients atteints par ce type de cancer, notamment ceux qui sont en cours de traitement;
  • les médecins ne pourront plus prescrire ce médicament sans attirer l’attention du patient que le traitement ne sera peut-être pas ou plus remboursé par son assurance maladie et devront, le cas échéant, réorienter leurs patients vers des alternatives de secours tels que des médicaments moins efficaces ou encore la participation à des essais cliniques de phase I à III de médicaments similaires, pour autant qu’il en existe;
  • les patients non aisés n’ont plus la garantie d’opter pour ce médicament ou de poursuivre le traitement aux frais de leur assureur. Les patients déjà sous traitement devront soit changer de substance, soit poursuivre le traitement à leur frais, dans le cas où l’assureur ne prendrait pas ou plus en charge son remboursement.

Dans cette hypothèse, il reste encore la possibilité d’aller se faire soigner à l’étranger. Le tourisme médical pose néanmoins d’innombrables problèmes, notamment en termes d’admission face aux ressortissants nationaux, de coûts des médicaments à l’étranger (pas forcément moins cher si l’on doit consulter un médecin sur place), la prescription par son médecin pour un traitement à l’étranger, la transmission du dossier médical complet à l’étranger, etc. sans parler du fait qu’il peut s’agir de situations qui peuvent ne pas permettre de reporter la prise du médicament en cours.

En définitive, le retrait d’un médicament de la liste des spécialités, peut dès lors aboutir à une médecine à deux vitesses pour certains types de maladies et catégories de patients.

Par Gabriel Avigdor | NTIC.ch