Médecins non-économiques – Conséquences de la polypragmasie

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Le thème des très hauts revenus de certains médecins, percevant plus de CHF 1 million par année est à nouveau à l’actualité. Ce matin l’émission “On en parle” de la RTS traitait du thème  de la surfacturation et des tarifs excessifs de certains médecins. Si certaines pistes ont été évoquées par une membre de la Fédération suisse des consommateurs (FRC), la polypragmasie qui traite aussi de l’aspect du surcoût n’a pas été mentionnée, ni les conséquences pour le médecin. Pourtant, les conséquences juridiques que pourraient subir le médecin qui abuserait de son droit de facturer à charge de l’assurance maladie de base ne sont pas négligeables.

En 2008, n’étant alors qu’étudiant sur les bancs de l’Université, je m’étais intéressé à la problématique du surtraitement ou du terme technique de “polypragmasie“. Ce terme barbare se réfère à l’article 56 LAMal et désigne une pratique contraire à  l’article 32 al. 1 LAMal, selon lequel le professionnel de la santé doit assurer un traitement efficace, approprié et économique (art. 32 al. 1 LAMal). S’il ne respecte pas ces conditions, il peut être tenu de restituer les sommes perçues directement ainsi que les coûts indirects du traitement préconisé (art. 56 LAMal).

La définition développée par les tribunaux est la suivante:

il y a “polypragmasie” (“Überarztung”) lorsqu’un nombre considérable de notes d’honoraires remises par un médecin à une caisse-maladie sont en moyenne sensiblement plus élevées que celles d’autres médecins pratiquant dans une région et avec une clientèle semblables, alors qu’aucune circonstance particulière ne justifie la différence de coût.

Il y a 10 ans, j’avais analysé et critiqué un arrêt du Tribunal fédéral qui abordait ce sujet. L’arrêt publié sous référence ATF 130 V 377, rendu le 18 mai 2004, analysait les différentes méthodes pour calculer le caractère économique ou non des prestations fournies et facturées par le médecin et admettait le remboursement par le médecin des coûts directs, mais également indirects, soit des montants que le médecin n’avait lui même pas perçus, mais qui découleraient de sa pratique jugée trop chère.

Si l’analyse de cet arrêt date déjà, les principes sont, dans les grandes lignes, restés les mêmes. A noter la mise à jour de mon analyse, en note de bas de page 5, sur la modification de la jurisprudence sur la méthode statistique selon l’ATF 133 V 37 du 6 octobre 2007.

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Conséquences possibles d’une pratique
jugée trop coûteuse

1) Sur le plan financier, le praticien peut se voir opposer :

  • un refus d’être rémunéré sur ce qui dépasse la limite de l’admissible (art. 56 al. 2 LAMal) ;
  • une restitution des sommes perçues à tort, directement et indirectement (art. 56 al. 2 et 59 al. 1 let. b LAMal).

2) Sur le plan administratif :

  • Avertissement (art. 59 al. 1 lit. a LAMal) ;
  • Amende (art. 59 al. 1 lit. c LAMal) ;
  • Exclusion temporaire ou définitive de toute activité à la charge de l’assurance obligatoire de soins (art. 59 al. 1 let. d LAMal).

3) Sur le plan pénal :

  • Si le professionnel de la santé obtient pour lui-même ou pour autrui, sur la base de la présente loi, une prestation qui ne lui revient pas, par des indications fausses ou incomplètes ou de toute autre manière; une peine pécuniaire allant jusqu’à 180 jours-amende peut lui être infligée (art. 92 let. b LAMal);
  • Dans des cas plus extrêmes, l’infraction pénale d’escroquerie à l’assurance peut être réalisée lorsque des prestations ont été obtenues par “astuce” (art. 146 du Code pénal suisse). Dans ce cas, la peine privative de liberté peut aller jusqu’à cinq ans!

Même si en pratique une procédure judiciaire peut prendre plus de 10 ans avant d’être jugée, une procédure en polygragmasie, du premier échange de courriers jusqu’aux tribunaux est très lourde et c’est un jeu qui n’en vaut pas la chandelle, au vu des conséquences possibles pour le médecin et aux prix de longs efforts.

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Pour aller plus loin:

  • Mon analyse critique de cet arrêt datant de 2008, avec quelques références et citations;
  • A. Cereghetti, Odile Pelet, “Nul n’est censé ignorer… comment faire face à l’accusation de polypragmasie“, in Rev Med Suisse 2008; volume 4. 23562359;
  • Marcel Moillen, “Contrôle de l’économicité par santésuisse en cabinet médical : quel message pratique ? “, in Revue médicale suisse 2009.