Première pilule connectée à un smartphone approuvée par la FDA

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ABILIFY MYCITE: UNE PREMIERE POUR LA SANTE CONNECTEE

Une page importante s’est tournée dans l’histoire de la santé connectée le 13 novembre 2017. La FDA, l’autorité américaine de régulation des médicaments et des dispositifs médicaux, a  approuvé la mise sur le marché de ‘Abilify MyCite’, une pilule qui envoie un signal à un patch collé sur les côtes du patient et qui communique par bluetooth à une App médicale. Il s’agit de la première pilule connectée permettant de suivre l’ingestion de médicaments par un patient. Abilify est le nom commercial d’un médicament contenant de l’aripiprazole“, molécule utilisée pour le traitement des personnes atteintes de schizophrénie, et pour le traitement et la prévention des récidives des épisodes maniaques modérés à sévères du trouble bipolaire de type I. 

L’approbation pour la mise sur le marché de cette pilule cumulée à celle du patch  connecté est une première pour la FDA, a commenté le Pharmacytimes, même si le senseur lui-même utilisé avec l’aripiprazole était déjà autorisé depuis 2012 par l’autorité américaine.  Plus d’informations spécifiques à cette approbation peuvent être consultées sur le site de la FDA.

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TECHNOLOGIE – COMMENT CA MARCHE?

D’un point de vue technologique, le senseur intégré dans la pillule Abilify Mycite se synchronise avec une application smartphone du patient, via le patch collé à la surface de la peau au niveau des côtes. Le patient ingère la pilule et une alerte est envoyée à un objet connecté (smartphone) via l’App mobile du patient. Si le patient partage ses données avec son médecin, ce dernier peut dès lors surveiller la prise de médicament. Selon des informations du site de la chaîné télévisée américaine PBS, les chercheurs œuvrent aussi à fabriquer des comprimés électroniques recueillant des paramètres comme la température interne du corps durant plusieurs jours.

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ASPECTS TECHNIQUES

Techniquement, LiveScience relate que la pilule intègre une puce en silicone dotée d’un circuit logique, composés de cuivre et de magnésium. Lorsque le senseur est mis dans une solution aqueuse, ou dans toute autre solution contenant des molécules polarisées, (tel que l’acide chlorhydrique – HCL – contenu dans l’estomac et qui dissout la pilule en conservant le senseur intact), ce dispositif génère un très faible courant, mais suffisant pour que la puce s’active. Techniquement, il s’agit d’une source de courant partielle et “le patient devient la batterie”.

Une fois activée, la puce de 1 mm de long et 0,3 mm envoie un signal très simple permettant d’encoder un seul nombre. Ce nombre identifie la pilule et indique à l’objet porté par le patient (le senseur sous la forme d’un bandage adhésif) que le médicament a été ingéré. Le signal n’est pas envoyé sous la forme d’un signal radio, mais le circuit logique émet un faible courant modulé, dont le niveau peut se représenter graphiquement comme une onde sinusoïdale. Dès lors que le corps humain est conducteur, le senseur perçoit ces changements et le courant modulé est capable d’encoder des 1 et des 0, de manière similaire à un signal FM.  Au fond, le fonctionnement est semblable à celui d’une ECG (électro-cardiogramme), puisque ces machines détectent les changements de courant électrique dans le corps humain afin de surveiller la fréquence cardiaque. Le senseur collé sur la peau a la même fonction, bien que que le courant soit plus faible.

La pilule est conçue pour ne fonctionner que durant 3 minutes environ, soit juste assez de temps pour envoyer un signal au patch permettant de le mettre en marche et récolter les données nécessaires pour comptabiliser l’ingestion du médicament par le patient. Cela a pour effet d’économiser des batteries, et permet au senseur de fonctionner pendant toute une semaine.

Le patch et les senseurs sont fabriqués par la société Proteus Digital Health et la molécule d’aripiprazole mise sur le marché par l’entreprise pharmaceutique japonaise Otsuka Pharmaceutical.

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ENJEUX ETHIQUES ET JURIDIQUES

 SUIVI DU PATIENT ET REDUCTION DES COÛTS DE LA SANTE

Le PHM (Personal Health Monitoring) comporte au moins deux avantages relatifs:

  • A L’OBSERVANCE, soit le fait de s’assurer que le patient souffrant de maladie mentale prenne régulièrement sa médication. Ceci peut être particulièrement intéressant pour les patients qui peuvent se trouver dans un état d’incapacité de discernement (comme pour les personnes âgées). Aux Etat-Unis, une étude menée par le National center for biotechnology information a démontré qu’un schizophrène sur deux répondant bien aux médicaments existants ne suivait pas son traitement de manière satisfaisante. L’observance (bon suivi d’un traitement) est donc également un enjeu important pour les patients atteints de maladies mentale;
  • AUX COÛTS DE LA SANTE, qui seraient réduits par la réduction de personnes oubliant de prendre leur pilule. Les conséquences sont d’ordre médicales et économiques. En effet, une personne qui ne prend pas, ou qui oublie de prendre ses médicaux, peut voir sa santé se dégrader, et nécessiter plus de médicaments, une ré-hospitalisation, voire une opération en cas d’indicent. Cet article indique notamment que les coûts pour le contribuable liés aux patients qui oublient de prendre leur médicaments pourraient s’élever à quelque $ 100 milliards. Un rapport américain prétendrait même des chiffres compris entre $100 et $300 milliards…
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AVANCEE TECHNOLOGIQUE OUI, MAIS EST-CE UN PROGRES?

Cette avancée technologique est notable et le potentiel pour la réduction des coûts de la santé important. Pourtant, cela ne fait pas l’unanimité, notamment au sein du corps médical, et il est légitime de se demander dans quelle mesure l’utilisation d’une nouvelle technologie peut contribuer à une amélioration, non juste à un progrès scientifique. Qu’est-ce que le progrès apporte de plus, de mieux qu’avant ce progrès ? Peut-on déduire de cet apport scientifique que les bénéfices pour le patient l’emporteront sur les bénéfices financiers par exemple ?  Certains ont déjà manifesté des réticences et les questions liées à la surveillance de la santé ont déjà fait l’objet de recherches et de publications scientifiques sur ce domaine complexe (voir quelques références en fin d’article).

Bien que certains parlent de Big Brother médical ou biomédical selon le New York Times, la surveillance de la santé pose de nombreuses questions éthiques, dont au moins 8 sont à noter:

  1. vie privée et risques pour l’ingérence dans la vie privée du patient, collecte de données sensibles, voire biométriques du patient et d’un traitement de ces données de santé conforme à la volonté d’un patient qui peut être en incapacité de discernement;
  2. visibilité et caractère invasif – aspects liés au fait que des tiers peuvent s’apercevoir qu’une personne fait l’objet d’une surveillance médicale (probablement pas dans le cas d’Abilify, mais oui ) et qu’on considère dès lors différemment la personne parce qu’on la voit comme un “malade” ou qu’en société cette personne fasse plus l’objet, soit d’une discrimination, soit être plus vulnérable;
  3. (sur)médicalisation – cela peut aboutir à une situation où l’environnement de vie du patient devient le point central de traitement avec une perte de la séparation entre lieu privé et lieu de soins. A cela s’ajoute une stigmatisation liée au fait d’être sous surveillance;
  4. isolation sociale – par le fait que le patient ne se déplace plus pour procéder à son check-up régulier, le patient s’exclut de la société avec les conséquences psychologiques et médicales en cas de baisse de motivation, moral, etc.;
  5. autodétermination en matière médicalequelle place pour le choix du patient lorsqu’il est suivi par son médecin qui peut savoir qu’il ne suit plus le traitement indiqué? Cela n’induit-il pas une certaine pression sur le patient?
  6. honte et aspects identitaires – quelles répercutions sur la personnalité du patient qui est perçu par la société comme marginal, si son traitement est visible?
  7. fourniture de soins – comment les soins sont-ils dispensés lorsqu’ils se font à distance et que le patient ne se déplace plus, est-ce une manière efficace de soigner, cette manière peut-elle être exclusive ou doit-on la combiner avec des rendez-vous physiques?
  8. sécurité, fiabilité et technologie mis en place

Ces aspects créent-t-ils une dé-responsabilisation du patient ou plutôt sur-responsabilisation, sont-ils bénéfiques ou néfastes?

On peut encore se poser la question des conséquences d’un point de vue assécurologique (assurances) si le patient ne prend pas sa pilule alors qu’il est surveillé, que cela soit avec ou sans dégradation de l’état de santé du patient.  Suspension, réduction, arrêt du remboursement des soins, mesures médicales ? Comment et sous quelles conditions ces informations pourraient être transmises à l’assureur de base ou complémentaire?

CONCLUSION INTERMEDIAIRE

Il existe donc de nombreuses, et sérieuses, interrogations sur les bénéfices réels du monitoring du corps humain par le patient ou un tiers autorisé ainsi que des questions juridiques et éthiques. Le risque d’ingérence dans la vie privée allant au delà du nécessaire, l’utilisation dérivée de cette surveillance et la pression induite, poussent à se demander dans quelle mesure les patients peuvent valablement consentir à ces mesures ou à pouvoir retirer leur consentement à ces mesures, ainsi qu’au traitement de leurs données personnelles. De plus, le fait que les patients atteints de troubles d’ordre psychiatrique  peuvent se trouver en situation d’incapacité de discernement pose encore des questions épineuses.

Les capteurs/senseurs intégrés dans Abilify sont (très probablement) configurés par défaut pour ne collecter que les informations utiles à la prise ou non du médicament. Soit le patient l’a prise, soit pas.  Mais, dès lors qu’il s’agit de capteurs, ceux-ci pourraient potentiellement collecter et traiter bien d’autres données que celles prévues au départ. Il pourrait s’agir de la fréquence cardiaque, de la quantité de sommeil, de la forme physique dans laquelle on se trouve, etc. La préoccupation principale serait une utilisation malintentionnée qui pourrait être faite de ces données par des organisations ou entreprises. De plus, comme pour toutes nouvelles technologies, nous n’avons que très peu de recul sur le potentiel et les risques, et peu de réglementation ou lignes directrices ont été publiées, comme l’indique cet article.

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ATTENTION  AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE ET AU SECRET MEDICAL

Un pilule connectée pose des questions liées à la sphère privée et à la protection des données. D’un point de la protection des données en Europe et en Suisse, ces données médicales entrent, lorsqu’elles permettent directement ou indirectement d’identifier un individu, dans la catégorie de données sensibles. Il en va de même des données biométriques qui sont une catégorie nouvellement intégrée dans le RGDP (art. 4 (14) RGPD) et dans le projet de révision de loi fédérale sur la protection des données (art. 4 let. c ch. 4 Projet-LPD).

Ainsi, tout traitement de ces données est illicite à moins que le responsable de traitement ne démontre une base juridique valable, telle que le consentement explicite (art. 9 §2 (a) RGPD, ou exprès du patient (art. 4 al. 5 et 13 al. 1 de la LDP). Le recueil de ce consentement doit s’opérer par le biais d’une information suffisante, doit s’exprimer de manière libre, être exposée clairement et sans ambiguïté, pour le traitement en question décrivant le but, la nature, ce qui en est fait, etc., par le professionnel de la santé et d’éventuels tiers pour qu’il soit valable (principe de transparence et consentement libre et éclairé).

Le fait de fournir des services en matière médicale implique le respect non seulement des règles en matière de protection des données, mais aussi de secret médical, dont seul le patient est le maître. Toute violation peut entraîner, sur plainte, une responsabilité pénale (art. 320 et 321 CP, art. 35 LPD, entre autres). En cas d’utilisation de ces données et si elles sont transmises à des tiers, tels que des sous-traitants, sans l’autorisation préalable exprès, le traitement est illicite et le responsable de traitement peut se voir condamner pénalement pour violation de ce secret. Sous l’angle de la protection des données, ce secret doit être garanti par le responsable de traitement et ses éventuels sous-traitants suisses (art. 9 §2 (h) et 9 §3 du RGDP), ou dans certains cas limités prévus par la loi, justifiée par des intérêts privés prépondérants (art. 13 al. 2 LPD). Selon le préposé fédéral à la protection données, ces données ne devraient d’ailleurs pas quitter la Suisse, ce qui exclurait l’utilisation des solutions cloud avec transmission de données transfrontières hors de la Suisse, sans consentement du patient et garanties suffisantes. A ce sujet, voir ma précédente note sur les recommandations du préposé fédéral en matière d’outsourcing pour l’externalisation de la facturation en matière médicale.

Enfin, pour les responsables de traitement soumis au RGPD, une violation de données pourrait conduire une autorité à prononcer des sanctions pouvant aller jusqu’à 2 à 4% du chiffre d’affaire annuel du groupe ou 10 à 20 millions selon les art. 83 ss du RGPD.

On ne peut que vivement recommander d’appliquer des méthodes de protection des données dès la conception (privacy by design) et par défaut (privacy by default) pour ce genre de technologies. Ce guide de considérations éthiques peut être un premier élément de départ en plus de connaître les exigences légales.

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CONCLUSION

L’approbation par la FDA de ce médicament connecté est un signal très fort et positif pour l’industrie et l’innovation en matière de santé et médicaments connectés, les technologies avancées en matière de sciences de la vie et dispositifs médicaux connectés.L’amélioration potentielle de la qualité de vie des patients, la facilité et l’efficacité du traitement, la réduction potentielle des coûts de la santé est notable et il faut se réjouir que ces initiatives réussies permette de réfléchir sur les manières d’aborder les nouvelles manières de se soigner grâce aux technologies. Il faudra dès lors s’attendre à bien d’autres innovations de ce type qui suivront dans les années à venir.

Comme pour toute nouvelle technologie, il n’est toutefois pas inutile de prendre un peu de recul, vu les nombreuses questions éthiques que cela peut soulever. Pour aboutir au résultat escompté, à savoir apporter de réelles améliorations, l’utilisation d’un tel dispositif nécessitera une implémentation réfléchie, vu la complexité du monitoring du corps humain.

Enfin, la protection du secret médical et les aspects de protection des données ne sont pas à négliger et il conviendra d’informer le patient avant le traitement sur le but, la manière de collecter les données, ne traiter que les données nécessaires en vue du traitement, travailler et collaborer avec le patient avec éthique, respect pour l’individu en particulier pour des personnes ayant des troubles psychiatriques, des capacités de discernement réduites de manière permanent ou passagère.

Quelques liens pour aller plus loin:

  • Mittelstadt, Brent, Ben Fairweather, Mark Shaw and Neil McBride. “The Ethical Implications of Personal Health Monitoring.” IJT 5.2 (2014): 37-60. Web. 4 Feb. 2018. doi:10.4018/ijt.2014070104
  • Mittelstadt, B., Fairweather, N.B., McBride, N., Shaw, M., 2011. Ethical Issues of Personal Health Monitoring: A Literature Review, in: ETHICOMP 2011 Conference Proceedings, ETHICOMP 2011, Sheffield, UK.
  • Elin Palm, Anders Nordgren, Marcel Verweij and Göran Collste, Ethically Sound Technology? Guidelines for Interactive Ethical Assessment of Personal Health Monitoring, 2013, Interdisciplinary Assessment of Personal Health Monitoring, 105-114.
  • Nordgren, Anders. (2013). Privacy by Design in Personal Health Monitoring. Health care analysis : HCA : journal of health philosophy and policy. 23. . 10.1007/s10728-013-0262-3.
  • Protection des données et sphère privée dans la santé connectée, article d’un blog pour la recherche et l’innovation dans les nouvelles technologies
  • Notice informationnelle du fabricant Otsuka Pharmaceutical pour Abilify Mycite.

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Par Gabriel Avigdor | NTIC.ch